La question

« Qu’est-ce que la vérité ?». Malgré les apparences ceci est une réponse, pas à une question, certes, mais à une des dernières phrases que prononça Jésus-Christ : « Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »

Et celui qui a formulé cette fameuse réponse-question, c’est Ponce Pilate. Ce préfet de Judée du Ier siècle, qui a eu l’insigne honneur et la lourde tâche d’être juge au procès de l’homme le plus connu au monde – et au moins de toute la Judée à l’époque, était selon moi un homme intelligent. Son poste de préfet et son appartenance à l’ordre équestre, c’est-à-dire l’ordre des chevaliers romains, laissent déjà supposer que ce citoyen romain était un homme éduqué, même érudit, et surtout capable intellectuellement de gérer les affaires qui lui incombaient dans tout le territoire de Judée. Mais l’intelligence que je suppose chez lui est plus subtile que ça. En fait, à la différence de l’image d’un personnage empathique, voire doux, que peut nous laisser la lecture des Evangiles, Pilate était un homme provocateur, dur et même cruel. Et ce sont ces traits de personnalités qui m’amènent à voir en lui cette forme d’intelligence qu’on retrouve souvent chez une catégorie de personnes bien précise : les tyrans et les tortionnaires.

Mais plus encore, ce qui me fait penser qu’il était intelligent, c’est cette réponse-question. La réponse d’abord montre d’une part un bon sens de la répartie : l’affirmation de Jésus en aurait déstabilisé plus d’un, et d’autre part un esprit d’analyse poussé : car l’élément essentiel à la compréhension de la phrase de Jésus c’est effectivement cette « vérité » que ce dernier mentionne à deux reprises. Ensuite la question, car je suis convaincu que comme le présente les Evangiles, malgré sa gestion rigide et intransigeante en tant que l’un des préfets les plus durs que la Judée ait connue, Pilate a douté. Il ne s’est pas seulement retrouvé face à Jésus mais aussi face à ses propres questions existentielles, celles que tout être humain se pose lorsqu’il accepte de laisser libre court à cette intelligence subtile que selon moi nous possédons tous – pour le meilleur ou pour le pire.

En effet je crois que son intelligence l’a amené à poser cette question si profonde et pourtant si simple. Probablement blasé par son poste et la réalité du terrain : manifestations d’opposition récurrentes du peuple juif, auxquelles succédaient les répressions violentes et systématiques de l’autorité romaine ; certainement intrigué par la spiritualité ancestrale d’hommes et de femmes qu’ils ne côtoient pas vraiment mais desquels chaque jour il observe, par la force des choses, à la fois la ferveur et la résignation. Pilate devait certainement avoir soif de plus, il devait avoir la curiosité de découvrir autre chose que la réalité froide et brutale dans laquelle il vivait, quand bien même elle était en sa faveur.

Cependant, la question qui m’intéresse vraiment alors que j’écris cet article, n’est pas celle de Pilate, ou pas tout à fait. Sa question, qui reste et qui restera toujours et universellement d’actualité, je me la suis aussi posée. Et je crois profondément y avoir trouvée une réponse au travers de la Bible et de ma foi chrétienne.

Mais aujourd’hui, je suis amené à me poser une question un peu différente. Comme par un mécanisme de transposition, la question de Pilate se trouve transformée, projetée dans un nouveau référentiel : une transposition de l’époque de l’empire romain et du stoïcisme à l’ère de la mondialisation et du numérique dans laquelle je vis, transposition de la fonction de préfet romain de Pilate à mon statut de simple citoyen d’un pays occidental et en particulier européen. Dans mon contexte et avec en particulier une focalisation sur la période de 2020 à aujourd’hui, la question qui résonne en moi est plutôt : « Qu’est-ce que la réalité ?»

On pourrait croire que c’est le dernier sujet du bac de philosophie, mais c’est sincèrement la question que je me pose depuis quelques temps.

Il faut dire que comme Pilate, parfois blasé et souvent intrigué par notre société et ses valeurs – ou absences de valeurs, par les évènements tragiques mais cycliques qui se produisent dans le monde, je me pose des questions existentielles ; des questions sur moi-même, sur les gens qui m’entourent, voire sur des notions « fondamentales », comme la réalité. Si je mets des guillemets à fondamentales, c’est parce que selon moi les avancées technologiques récentes, et les questions de société qui les accompagnent, ont légèrement fissuré ou du moins ébranlé le roc que constitue le concept de réalité en tant qu’expérience inanalysable ou de conscience de soi indiscutable, qu’ont défendu certains philosophes comme Descartes.

« Ces nouvelles technologies offrent une infinité de possibilités, aussi bien susceptibles de nous aider à mieux vivre que l’inverse »

Réalité virtuelle, réalité augmentée, et dernièrement métavers, sont des mots qui aujourd’hui nous font peut-être seulement penser à des jeux-vidéo fascinant, à des drôles de lunettes qui nous font ressembler à des membres des Daft Punk, ou à un nouvel Eldorado commercial pour les géants de l’industrie du web 2.0. Mais en fait il s’agit de bien plus que ça. Il s’agit des balbutiements de ce qui demain fera partie intégrante de notre vie de tous les jours : travail, loisirs, achats, … Ces nouvelles technologies offrent une infinité de possibilités, aussi bien susceptibles de nous aider à mieux vivre que l’inverse, par analogie avec Internet et les réseaux sociaux de nos jours. Et une autre analogie avec ces derniers que l’on peut déduire assez facilement, c’est la remise en question de principes légaux, sociaux, économiques, et politiques, entre autres. Car, si récemment nous nous sommes retrouvés hébétés et démunis face aux révélations de manipulation d’élections présidentielles par de grandes sociétés d’analyse de données via les réseaux sociaux, comment réagirons-nous par exemple face à des campagnes électorales de candidats qui influenceront émotionnellement les électeurs à coup d’insécurité et de violence raciale virtuelles crées de toutes pièces dans le métavers ? Ou encore, s’il est déjà si difficile pour certains parents d’aider les no-life que sont devenus leurs enfants, complètement coupés du monde des vivants et accros au virtuel, que deviendront les parents qui subiront les premières vagues de « renaissances virtuelles » – sorte de coma artificiel définitif et voulu où l’esprit délaisserait le monde charnel pour rester uniquement connecté au métavers ? Et enfin, s’il est encore si difficile de légiférer concernant des incitations à la violence et des harcèlements sur les réseaux sociaux qui aboutissent à des crimes ou des suicides, quels genres de de casse-têtes juridiques devront décortiquer nos tribunaux face à des assassinats commis dans le monde bien réel mais en représailles de viols commis dans le métavers ? Vous trouvez peut-être que je pousse un peu et que mon imagination fertile m’emporte dans des scénarios extrêmes de science-fiction. Au contraire, je pense que je ne vais pas assez loin, et pour deux raisons. Premièrement, on pourrait citer l’écrivain Mark Twain qui dit que « la réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas de la réalité ». C’est-à-dire que quoi qu’on puisse imaginer, la réalité libre des carcans qui bride inconsciemment nos esprits est toujours en mesure de nous surprendre, de réaliser les rêves ou les cauchemars les plus fous, et surtout, de les dépasser. En second lieu, ce sont quelques célèbres auteurs d’un genre que j’aime beaucoup qui peuvent justifier ma tentative d’entrevoir un avenir inquiétant mais probable : Georges Orwell, René Barjavel et Aldous Huxley, entre autres, ont écrit des romans contre-utopiques (ou aussi appelés dystopiques) remplis de fantaisies parfois naïves mais ils n’en sont pas moins considérés aujourd’hui comme des prophètes dont l’art a su nous mettre en garde avec précision contre des graves dérives de notre société – malheureusement sans pour autant que nous ne réussissions à toutes les éviter.

D’ailleurs, je n’ai même pas besoin d’aller chercher si loin pour concevoir que la notion de réalité aussi certaine et tangible qu’elle nous paraisse est en fait d’ores et déjà remise en question dans notre vie de tous les jours. Effectivement je pose la question qui demande « qu’en sera-t-il de la réalité, de la preuve par l’expérience que ce qu’on vit est bien réel ? ». Mais déjà aujourd’hui, qu’en est-il de la réalité, celle du monde qui nous entoure et qu’on est censé pouvoir capter par le truchement de nos écrans plus que jamais démultipliés ? En effet, à l’aube de cette révolution technologique du monde réel, arrive déjà à son apogée une autre révolution qui dure depuis plusieurs décennies – au moins depuis le 11 septembre 2001 je pense : la révolution de l’information. Et pourtant avec le recul de ces deux dernières décennies, je ne sais même plus si on peut vraiment parler de révolution et pas simplement d’une évolution, darwinienne, mécanique, inéluctable, mutation brutale de l’information au sens large. De la création de l’Axe du Mal en 2003, à l’imbroglio en 2021 sur les vaccins anti-covid, en passant par la crise des subprimes en 2008 et les révélations d’Edward Snowden en 2013, on peut voir que désormais il suffit qu’une poignée de personnes, voire une seule parfois, agisse de manière relativement limitée et locale sur l’information, pour que la réalité de centaines de millions d’autres à travers le monde soit profondément transformée avec une rapidité, une intensité et une dispersion qui n’avaient encore jamais été observées, et qui vont grandissantes. Que ce soit sous la forme d’une fiole d’anthrax confirmant la menace imminente, d’un passe vaccinal obligatoire pour accéder à tout ou presque de ce qui constitue la vie en société, d’une note AAA attribuée à des produits financiers nord-américains pourtant toxiques, ou d’une divulgation de documents hautement sensibles d’agences de renseignements américaines, les battements d’ailes de papillon qui déclenchent des tsunamis sont bien là et de plus en plus fréquents. Avec une certaine polarisation sur les Etats-Unis, la mondialisation, l’ubiquité des médias et l’instantanéité d’internet et des réseaux sociaux ont rendu inévitable l’évolution du système de l’information vers un écosystème de l’information, où les informations et leurs vecteurs sont assimilables à une communauté d’êtres interagissant dans un environnement régi par la loi du plus fort : le plus fort médiatiquement, politiquement, ou bien sûr financièrement parlant.

Je vais au moins parler pour moi. Quand je regarde derrière moi, quand je repense à ma réaction devant cet écran de télé, seul, un après-midi où j’étais rentré plus tôt du collège, quand je me dis qu’au début je pensais que c’était un film et pas l’édition spéciale du JT qui passait en boucle des images de panique, de mélange de poussière et de fumée, de fracas d’acier et de verre, d’avions et de corps humain aux trajectoires inhabituelles et fatalement horizontales ou verticales, c’est comme si depuis ce jour si étrange et pourtant si réel, j’étais finalement bien rentré dans un film, un blockbuster à l’hollywoodienne, avec des méchants et des gentils bien sûr, un film dont on se doute malheureusement de la fin, mais qui comme dans Matrix change parfois brutalement de décor ou de méchants – jamais de gentils par contre, au hasard d’une reprogrammation par les « architectes » cyniques et assoiffés de toujours plus de pouvoir ou à la chance d’une faille crée par certains rebelles désenchantés de cette réalité qu’on force dans leur esprit et luttant au nom de la vérité.

Oui, quand je regarde derrière moi, je ne me peux que me résoudre à penser que le réel n’existe plus ou presque. Ce qui reste de lui devrait être achevé dans les prochaines décennies, voire années. Je pourrais me dire que j’ai au moins mes sentiments, mes émotions, mais même ça je ne peux plus m’y fier : plus que mon intellect ce qui intéresse aujourd’hui les nouveaux maîtres du monde, les seigneurs de l’information, c’est mon affect. L’intellect ne fait pas vendre, il fait réfléchir, tout simplement, et même si on l’orientait dans une direction donnée, il est bien trop dangereux et incontrôlable : d’une pensée naît une idée, d’une idée une intention, d’une intention une action. « Quoi ?! Une action ?! Non surtout pas ! » Ce qu’il faut c’est influencer mais sans mettre en branle, orienter tout en paralysant, émouvoir sans mouvoir. Manipuler l’affect, c’est parfait : ça tire des chaudes larmes, ça fait éclater des fous rires, ça indigne, ça apaise, tout ça, sans faire bouger qui que ce soit de son canapé, et surtout, surtout, sans interrompre les flots d’or qui découlent directement ou indirectement de nos « temps de cerveaux disponibles ». Alors que je me rends compte comme le groupe de rock des années 80, Téléphone, que « ma réalité m’a alité », je m’efforce de me réveiller peu à peu, de me relever, de m’élancer de toute mes forces, guidé par une seule chose, comme une étoile éclatante dans la nuit noire, la vérité : celle que j’ai trouvée en Jésus-Christ de Nazareth, le seul à avoir jamais dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie ».

Les vers

Je dédicace ce poème à mon frère.

Et je t'émouvrai avec mes vers,
Et je t'aime vrai mon frère.
Oui, je t'émouvrai avec mes vers,
Car je t'aime vrai mon frère.

Je t'aime c'est vrai, et je t'émouvrai.
Oui, je t'émouvrai avec mes vers,
Car je t'aime vrai ô oui mon frère.

Et je t'émouvrai avec mes vers,
Et je t'aime vrai mon frère.
Oui, je t'émouvrai avec mes vers,
Car je t'aime vrai mon frère.

Tu aimerais que je t'émeuve avec tes vers,
Mais j'aime mieux t'émouvoir avec mes vers.
Tes vers sont à moitié vide, les miens à moitié plein.
Tes vers sont entiers, solides, les miens en pointillés, sibyllins.

Mais je t'émouvrai avec mes vers,
Et je t'aime vrai mon frère.
Oui, je t'émouvrai avec mes vers,
Car je t'aime vrai mon frère.

Je tiens à expliquer pourquoi est-ce que j’ai mis à jour ce poème. On pourrait penser que je l’ai dénaturé : car modifier ce qui est le fruit de l’inspiration, après réflexion, est un dommage pour l’art la plupart du temps je trouve. Mais c’est plutôt l’inverse qu’il s’est passé.

Tout à commencer par un rêve très émouvant avec mon frère et moi. A la fin du rêve, mon oreiller baigné de larmes et l’air d’une chanson impossible à retirer de mon esprit. Après avoir enfin décidé de poser sur le papier les quelques mots de ce qui s’apparente à un refrain, la rengaine se fait moins intense mais je garde toujours en mémoire l’air.
Finalement je complète le refrain avec quelques mots, le jour même, pour en faire un très court et simple poème. Mais ça ne ressemble plus vraiment à ce que j’avais entendu.

Je n’ai pas posté tout de suite le poème sur le blog. Mais pour différentes raisons, dans mes prières quelques semaines après, je reçois de Dieu que je dois simplement prendre ce que je sais et aime faire, même à avec mon petit niveau, et le diffuser. Lui fera le reste. Pourquoi? Comment? C’est une autre histoire.
De manière surprenante, juste après avoir posté le poème, je reçois un commentaire assez déroutant d’une très bonne amie (ma maman d’écriture, Marlène, merci 1000 fois!). Ce qui est surprenant ce n’est pas qu’elle ait fait le commentaire juste après mon post — je commence à me faire à son soutien sans faille même s’il me touche et me motive énormément, mais c’est son contenu qui m’a troublé. Spontanément, elle me dit en gros qu’une mélodie ne serait pas de trop avec ces quelques vers.
Pour moi c’est clair, je dois revenir le plus possible au poème et à l’air d’origine formés dans mon rêve.

Et donc nous y voilà, plutôt qu’une reprise, la version ci-dessus c’est un retour aux origines de ce poème onirique, si je peux l’appeler comme ça. Et ci-dessous, je vous partage non sans trac et bien humblement l’air qui va avec ce poème (désolé pour la qualité du son).

Le dernier mot

Éclatante, rayonnante, toujours arborant les couleurs les plus vives.
Tu étais pleine de ce que personne n'aurait jamais imaginé tarissable.
Immortelle, oui, ton sourire, la lumière sur ton visage le paraissait. 
Mais le sort nous a tous fait mentir. Comme s’il devait nous rabattre notre caquet, 
il a trouvé pour toi la plus brutale et la plus inattendue des fins.
Mais toi aussi à ton tour, je sais que tu vas le faire mentir. 
Je sais que tu n'en as pas fini de briller de mille feux et de jouer 
avec les couleurs de l'arc en ciel comme un peintre avec sa palette d'aquarelles. 
Là où tu es, là-haut, fais le mentir, ce sort tragique, 
et montre-lui que malgré tout son cynisme, 
c'est toi qui as eu le dernier mot. 

L’inspiration

(Ecrit pendant le deuxième confinement , hiver 2020)

Ecrire, pas facile de s’y remettre, secoué, dans un métro pressé de relier Réaumur-Sébastopol à Pont de Levallois, blasé, par une énième affiche publicitaire pour une asso caritative faisant l’amalgame entre enfant africain et pauvreté, et confiné, pour la troisième fois, par un gouvernement de moins en moins populaire qui, même si l’ennemi est ailleurs, a l’air de tout faire pour se mettre l’ensemble de la population à dos.

« On ne peut pas plaire à tout le monde ! » C’est le nom de cette célèbre émission démagogiquement polémique ou polémiquement démagogique, c’est selon. Et justement elle portait, de fait, bien mal son nom. C’est aussi une assertion qui constitue une vérité que j’admets bien comme irréfutable en pensée mais que j’ai pourtant bien du mal à vivre dans mes actions. Tout comme notre président et nos ministres, je me retrouve souvent à tenter un impossible grand écart entre des objectifs, des personnes, des mondes qui sont diamétralement opposés, me faisant subir à moi-même un écartèlement insupportable, alors qu’en somme personne ne me le demande. En fait c’est simple, la plupart du temps on peut résumer mes décisions par le problème mathématique suivant :

  • X me demande A, du moins je m’imagine que X attend de moi A,
  • Y me demande B, du moins…, bref vous avez compris,
  • A n’implique pas B et B n’implique pas A, même si on peut admettre quelques intersections entre A et B (c’est-à-dire qu’en me débrouillant bien il y a des petites chances de faire coïncider ce que X veut et ce que Y veut),
  • Comment trouver le point d’intersection entre A et B afin de satisfaire X et Y et, accessoirement, afin de me satisfaire aussi et d’être en accord avec mes valeurs ?

C’est simple, non ? Bon, ça doit paraître au moins aussi compliqué que ce qui se joue à répétition dans ma tête à longueur de journée, au travail, à la maison, partout. Il y a bien des solutions à cette équation, beaucoup. Mais la résoudre coûte du temps, de l’énergie, pire, de l’identité, car à chercher « X » et « Y » je me perds toujours un peu plus dans l’infinité d’un plan cartésien où, ironiquement, même ces deux « inconnus » finissent déçus par mes solutions qui paraissent satisfaisantes dans une dimension mais pas dans les autres. 

C’est sûrement ce qui me fait avoir un minimum d’empathie pour le gouvernement. Les librairies ou les bars, les personnes âgées seules en EHPAD ou les jeunes avides de fête dans leur 9m², confiner ou ne pas confiner ? Telle est la question. Cela n’excuse en rien les graves manquements en termes de communication, de gestion, et surtout d’humanité dont ont pu faire preuve nos dirigeants depuis plus d’un an déjà. Je compatie juste en voyant d’autres échouer, au vu et au su de tous, dans un numéro de contorsionniste auquel je suis moi-même rompu mais pas beaucoup plus triomphant, loin de là.

Confiné donc, encore une fois, dans un « confinement qui n’en est pas vraiment un » peut-on entendre çà et là, ou plutôt dans un flou qui résulte selon moi très probablement de ce jeu dangereux auquel joue notre président. Un jeu auquel, dans une bien moindre mesure et avec des conséquences bien plus futiles, je me suis pris à jouer depuis longtemps maintenant, tellement que j’en viens à me demander si ce n’est vraiment que la troisième fois que je suis confiné. A vrai dire, ça fait bien longtemps que je me suis « auto-confiné », probablement ne suis-je pas le seul dans ce cas vous me direz, mais quelle importance ? Seul enfermé chez soi, ou tous enfermés chez soi, le problème reste le même. Cette privation d’une liberté qui est pourtant là, juste derrière la porte, à travers les vitres de la fenêtre, il s’agit bien d’un confinement. La porte des possibles, la fenêtres de mes aspirations profondes, je les ai fermées moi-même, dans cette incompréhensible et injustifiable quête de compromis où tout le monde est perdant et moi le premier.

Une amie m’avait pourtant bien conseillé : « il ne faut jamais écrire pour plaire aux autres ». Mais là aussi, le confinement de mon esprit, lui bien réel, est venu empêcher des possibilités : nier, tuer dans l’œuf une créativité qui logiquement aurait dû se trouver débridée par les pseudo-confinements dans lesquels nous nous sommes trouvés déjà à deux reprises pendant ces six derniers mois. Presque six mois sans rien écrire, six mois à fuir la peur de ne pas être intéressant, six mois à nier l’évidence de ce besoin d’écrire en essayant de l’étouffer par toutes sortes de contraintes et d’occupations. Etouffer, le mot est faible, parce que c’est effectivement comme s’arrêter de respirer, pendant six mois, comme une longue apnée, beaucoup trop longue.

Pourtant j’ai besoin de ça. J’ai besoin d’écrire. A quoi bon me mentir, j’ai été pris la main dans le sac, ou plutôt le stylo bille à la main. Cette main qui a goûté au sang noir de ce petit objet si banal mais si riche des possibilités qu’il renferme en son sein. Maintenant rien n’y fait, elle ne sera plus jamais ce pentapode domestiqué à pianoter sur un clavier, tapoter sur un écran glacé, ou même à attraper et relâcher machinalement toutes sortes de choses insignifiantes, aux ordres d’un maître lui-même asservi à un monde dans lequel il suffoque.

C’est donc ça, désormais, je respire par cette main, au rythme des lettres qui se dessinent sur mon carnet. Majuscule, je prends une grande bouffée d’air : inspiration. Point final…, j’en reprend encore une autre : inspiration.