La question

« Qu’est-ce que la vérité ?». Malgré les apparences ceci est une réponse, pas à une question, certes, mais à une des dernières phrases que prononça Jésus-Christ : « Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »

Et celui qui a formulé cette fameuse réponse-question, c’est Ponce Pilate. Ce préfet de Judée du Ier siècle, qui a eu l’insigne honneur et la lourde tâche d’être juge au procès de l’homme le plus connu au monde – et au moins de toute la Judée à l’époque, était selon moi un homme intelligent. Son poste de préfet et son appartenance à l’ordre équestre, c’est-à-dire l’ordre des chevaliers romains, laissent déjà supposer que ce citoyen romain était un homme éduqué, même érudit, et surtout capable intellectuellement de gérer les affaires qui lui incombaient dans tout le territoire de Judée. Mais l’intelligence que je suppose chez lui est plus subtile que ça. En fait, à la différence de l’image d’un personnage empathique, voire doux, que peut nous laisser la lecture des Evangiles, Pilate était un homme provocateur, dur et même cruel. Et ce sont ces traits de personnalités qui m’amènent à voir en lui cette forme d’intelligence qu’on retrouve souvent chez une catégorie de personnes bien précise : les tyrans et les tortionnaires.

Mais plus encore, ce qui me fait penser qu’il était intelligent, c’est cette réponse-question. La réponse d’abord montre d’une part un bon sens de la répartie : l’affirmation de Jésus en aurait déstabilisé plus d’un, et d’autre part un esprit d’analyse poussé : car l’élément essentiel à la compréhension de la phrase de Jésus c’est effectivement cette « vérité » que ce dernier mentionne à deux reprises. Ensuite la question, car je suis convaincu que comme le présente les Evangiles, malgré sa gestion rigide et intransigeante en tant que l’un des préfets les plus durs que la Judée ait connue, Pilate a douté. Il ne s’est pas seulement retrouvé face à Jésus mais aussi face à ses propres questions existentielles, celles que tout être humain se pose lorsqu’il accepte de laisser libre court à cette intelligence subtile que selon moi nous possédons tous – pour le meilleur ou pour le pire.

En effet je crois que son intelligence l’a amené à poser cette question si profonde et pourtant si simple. Probablement blasé par son poste et la réalité du terrain : manifestations d’opposition récurrentes du peuple juif, auxquelles succédaient les répressions violentes et systématiques de l’autorité romaine ; certainement intrigué par la spiritualité ancestrale d’hommes et de femmes qu’ils ne côtoient pas vraiment mais desquels chaque jour il observe, par la force des choses, à la fois la ferveur et la résignation. Pilate devait certainement avoir soif de plus, il devait avoir la curiosité de découvrir autre chose que la réalité froide et brutale dans laquelle il vivait, quand bien même elle était en sa faveur.

Cependant, la question qui m’intéresse vraiment alors que j’écris cet article, n’est pas celle de Pilate, ou pas tout à fait. Sa question, qui reste et qui restera toujours et universellement d’actualité, je me la suis aussi posée. Et je crois profondément y avoir trouvée une réponse au travers de la Bible et de ma foi chrétienne.

Mais aujourd’hui, je suis amené à me poser une question un peu différente. Comme par un mécanisme de transposition, la question de Pilate se trouve transformée, projetée dans un nouveau référentiel : une transposition de l’époque de l’empire romain et du stoïcisme à l’ère de la mondialisation et du numérique dans laquelle je vis, transposition de la fonction de préfet romain de Pilate à mon statut de simple citoyen d’un pays occidental et en particulier européen. Dans mon contexte et avec en particulier une focalisation sur la période de 2020 à aujourd’hui, la question qui résonne en moi est plutôt : « Qu’est-ce que la réalité ?»

On pourrait croire que c’est le dernier sujet du bac de philosophie, mais c’est sincèrement la question que je me pose depuis quelques temps.

Il faut dire que comme Pilate, parfois blasé et souvent intrigué par notre société et ses valeurs – ou absences de valeurs, par les évènements tragiques mais cycliques qui se produisent dans le monde, je me pose des questions existentielles ; des questions sur moi-même, sur les gens qui m’entourent, voire sur des notions « fondamentales », comme la réalité. Si je mets des guillemets à fondamentales, c’est parce que selon moi les avancées technologiques récentes, et les questions de société qui les accompagnent, ont légèrement fissuré ou du moins ébranlé le roc que constitue le concept de réalité en tant qu’expérience inanalysable ou de conscience de soi indiscutable, qu’ont défendu certains philosophes comme Descartes.

« Ces nouvelles technologies offrent une infinité de possibilités, aussi bien susceptibles de nous aider à mieux vivre que l’inverse »

Réalité virtuelle, réalité augmentée, et dernièrement métavers, sont des mots qui aujourd’hui nous font peut-être seulement penser à des jeux-vidéo fascinant, à des drôles de lunettes qui nous font ressembler à des membres des Daft Punk, ou à un nouvel Eldorado commercial pour les géants de l’industrie du web 2.0. Mais en fait il s’agit de bien plus que ça. Il s’agit des balbutiements de ce qui demain fera partie intégrante de notre vie de tous les jours : travail, loisirs, achats, … Ces nouvelles technologies offrent une infinité de possibilités, aussi bien susceptibles de nous aider à mieux vivre que l’inverse, par analogie avec Internet et les réseaux sociaux de nos jours. Et une autre analogie avec ces derniers que l’on peut déduire assez facilement, c’est la remise en question de principes légaux, sociaux, économiques, et politiques, entre autres. Car, si récemment nous nous sommes retrouvés hébétés et démunis face aux révélations de manipulation d’élections présidentielles par de grandes sociétés d’analyse de données via les réseaux sociaux, comment réagirons-nous par exemple face à des campagnes électorales de candidats qui influenceront émotionnellement les électeurs à coup d’insécurité et de violence raciale virtuelles crées de toutes pièces dans le métavers ? Ou encore, s’il est déjà si difficile pour certains parents d’aider les no-life que sont devenus leurs enfants, complètement coupés du monde des vivants et accros au virtuel, que deviendront les parents qui subiront les premières vagues de « renaissances virtuelles » – sorte de coma artificiel définitif et voulu où l’esprit délaisserait le monde charnel pour rester uniquement connecté au métavers ? Et enfin, s’il est encore si difficile de légiférer concernant des incitations à la violence et des harcèlements sur les réseaux sociaux qui aboutissent à des crimes ou des suicides, quels genres de de casse-têtes juridiques devront décortiquer nos tribunaux face à des assassinats commis dans le monde bien réel mais en représailles de viols commis dans le métavers ? Vous trouvez peut-être que je pousse un peu et que mon imagination fertile m’emporte dans des scénarios extrêmes de science-fiction. Au contraire, je pense que je ne vais pas assez loin, et pour deux raisons. Premièrement, on pourrait citer l’écrivain Mark Twain qui dit que « la réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas de la réalité ». C’est-à-dire que quoi qu’on puisse imaginer, la réalité libre des carcans qui bride inconsciemment nos esprits est toujours en mesure de nous surprendre, de réaliser les rêves ou les cauchemars les plus fous, et surtout, de les dépasser. En second lieu, ce sont quelques célèbres auteurs d’un genre que j’aime beaucoup qui peuvent justifier ma tentative d’entrevoir un avenir inquiétant mais probable : Georges Orwell, René Barjavel et Aldous Huxley, entre autres, ont écrit des romans contre-utopiques (ou aussi appelés dystopiques) remplis de fantaisies parfois naïves mais ils n’en sont pas moins considérés aujourd’hui comme des prophètes dont l’art a su nous mettre en garde avec précision contre des graves dérives de notre société – malheureusement sans pour autant que nous ne réussissions à toutes les éviter.

D’ailleurs, je n’ai même pas besoin d’aller chercher si loin pour concevoir que la notion de réalité aussi certaine et tangible qu’elle nous paraisse est en fait d’ores et déjà remise en question dans notre vie de tous les jours. Effectivement je pose la question qui demande « qu’en sera-t-il de la réalité, de la preuve par l’expérience que ce qu’on vit est bien réel ? ». Mais déjà aujourd’hui, qu’en est-il de la réalité, celle du monde qui nous entoure et qu’on est censé pouvoir capter par le truchement de nos écrans plus que jamais démultipliés ? En effet, à l’aube de cette révolution technologique du monde réel, arrive déjà à son apogée une autre révolution qui dure depuis plusieurs décennies – au moins depuis le 11 septembre 2001 je pense : la révolution de l’information. Et pourtant avec le recul de ces deux dernières décennies, je ne sais même plus si on peut vraiment parler de révolution et pas simplement d’une évolution, darwinienne, mécanique, inéluctable, mutation brutale de l’information au sens large. De la création de l’Axe du Mal en 2003, à l’imbroglio en 2021 sur les vaccins anti-covid, en passant par la crise des subprimes en 2008 et les révélations d’Edward Snowden en 2013, on peut voir que désormais il suffit qu’une poignée de personnes, voire une seule parfois, agisse de manière relativement limitée et locale sur l’information, pour que la réalité de centaines de millions d’autres à travers le monde soit profondément transformée avec une rapidité, une intensité et une dispersion qui n’avaient encore jamais été observées, et qui vont grandissantes. Que ce soit sous la forme d’une fiole d’anthrax confirmant la menace imminente, d’un passe vaccinal obligatoire pour accéder à tout ou presque de ce qui constitue la vie en société, d’une note AAA attribuée à des produits financiers nord-américains pourtant toxiques, ou d’une divulgation de documents hautement sensibles d’agences de renseignements américaines, les battements d’ailes de papillon qui déclenchent des tsunamis sont bien là et de plus en plus fréquents. Avec une certaine polarisation sur les Etats-Unis, la mondialisation, l’ubiquité des médias et l’instantanéité d’internet et des réseaux sociaux ont rendu inévitable l’évolution du système de l’information vers un écosystème de l’information, où les informations et leurs vecteurs sont assimilables à une communauté d’êtres interagissant dans un environnement régi par la loi du plus fort : le plus fort médiatiquement, politiquement, ou bien sûr financièrement parlant.

Je vais au moins parler pour moi. Quand je regarde derrière moi, quand je repense à ma réaction devant cet écran de télé, seul, un après-midi où j’étais rentré plus tôt du collège, quand je me dis qu’au début je pensais que c’était un film et pas l’édition spéciale du JT qui passait en boucle des images de panique, de mélange de poussière et de fumée, de fracas d’acier et de verre, d’avions et de corps humain aux trajectoires inhabituelles et fatalement horizontales ou verticales, c’est comme si depuis ce jour si étrange et pourtant si réel, j’étais finalement bien rentré dans un film, un blockbuster à l’hollywoodienne, avec des méchants et des gentils bien sûr, un film dont on se doute malheureusement de la fin, mais qui comme dans Matrix change parfois brutalement de décor ou de méchants – jamais de gentils par contre, au hasard d’une reprogrammation par les « architectes » cyniques et assoiffés de toujours plus de pouvoir ou à la chance d’une faille crée par certains rebelles désenchantés de cette réalité qu’on force dans leur esprit et luttant au nom de la vérité.

Oui, quand je regarde derrière moi, je ne me peux que me résoudre à penser que le réel n’existe plus ou presque. Ce qui reste de lui devrait être achevé dans les prochaines décennies, voire années. Je pourrais me dire que j’ai au moins mes sentiments, mes émotions, mais même ça je ne peux plus m’y fier : plus que mon intellect ce qui intéresse aujourd’hui les nouveaux maîtres du monde, les seigneurs de l’information, c’est mon affect. L’intellect ne fait pas vendre, il fait réfléchir, tout simplement, et même si on l’orientait dans une direction donnée, il est bien trop dangereux et incontrôlable : d’une pensée naît une idée, d’une idée une intention, d’une intention une action. « Quoi ?! Une action ?! Non surtout pas ! » Ce qu’il faut c’est influencer mais sans mettre en branle, orienter tout en paralysant, émouvoir sans mouvoir. Manipuler l’affect, c’est parfait : ça tire des chaudes larmes, ça fait éclater des fous rires, ça indigne, ça apaise, tout ça, sans faire bouger qui que ce soit de son canapé, et surtout, surtout, sans interrompre les flots d’or qui découlent directement ou indirectement de nos « temps de cerveaux disponibles ». Alors que je me rends compte comme le groupe de rock des années 80, Téléphone, que « ma réalité m’a alité », je m’efforce de me réveiller peu à peu, de me relever, de m’élancer de toute mes forces, guidé par une seule chose, comme une étoile éclatante dans la nuit noire, la vérité : celle que j’ai trouvée en Jésus-Christ de Nazareth, le seul à avoir jamais dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie ».

L’inspiration

(Ecrit pendant le deuxième confinement , hiver 2020)

Ecrire, pas facile de s’y remettre, secoué, dans un métro pressé de relier Réaumur-Sébastopol à Pont de Levallois, blasé, par une énième affiche publicitaire pour une asso caritative faisant l’amalgame entre enfant africain et pauvreté, et confiné, pour la troisième fois, par un gouvernement de moins en moins populaire qui, même si l’ennemi est ailleurs, a l’air de tout faire pour se mettre l’ensemble de la population à dos.

« On ne peut pas plaire à tout le monde ! » C’est le nom de cette célèbre émission démagogiquement polémique ou polémiquement démagogique, c’est selon. Et justement elle portait, de fait, bien mal son nom. C’est aussi une assertion qui constitue une vérité que j’admets bien comme irréfutable en pensée mais que j’ai pourtant bien du mal à vivre dans mes actions. Tout comme notre président et nos ministres, je me retrouve souvent à tenter un impossible grand écart entre des objectifs, des personnes, des mondes qui sont diamétralement opposés, me faisant subir à moi-même un écartèlement insupportable, alors qu’en somme personne ne me le demande. En fait c’est simple, la plupart du temps on peut résumer mes décisions par le problème mathématique suivant :

  • X me demande A, du moins je m’imagine que X attend de moi A,
  • Y me demande B, du moins…, bref vous avez compris,
  • A n’implique pas B et B n’implique pas A, même si on peut admettre quelques intersections entre A et B (c’est-à-dire qu’en me débrouillant bien il y a des petites chances de faire coïncider ce que X veut et ce que Y veut),
  • Comment trouver le point d’intersection entre A et B afin de satisfaire X et Y et, accessoirement, afin de me satisfaire aussi et d’être en accord avec mes valeurs ?

C’est simple, non ? Bon, ça doit paraître au moins aussi compliqué que ce qui se joue à répétition dans ma tête à longueur de journée, au travail, à la maison, partout. Il y a bien des solutions à cette équation, beaucoup. Mais la résoudre coûte du temps, de l’énergie, pire, de l’identité, car à chercher « X » et « Y » je me perds toujours un peu plus dans l’infinité d’un plan cartésien où, ironiquement, même ces deux « inconnus » finissent déçus par mes solutions qui paraissent satisfaisantes dans une dimension mais pas dans les autres. 

C’est sûrement ce qui me fait avoir un minimum d’empathie pour le gouvernement. Les librairies ou les bars, les personnes âgées seules en EHPAD ou les jeunes avides de fête dans leur 9m², confiner ou ne pas confiner ? Telle est la question. Cela n’excuse en rien les graves manquements en termes de communication, de gestion, et surtout d’humanité dont ont pu faire preuve nos dirigeants depuis plus d’un an déjà. Je compatie juste en voyant d’autres échouer, au vu et au su de tous, dans un numéro de contorsionniste auquel je suis moi-même rompu mais pas beaucoup plus triomphant, loin de là.

Confiné donc, encore une fois, dans un « confinement qui n’en est pas vraiment un » peut-on entendre çà et là, ou plutôt dans un flou qui résulte selon moi très probablement de ce jeu dangereux auquel joue notre président. Un jeu auquel, dans une bien moindre mesure et avec des conséquences bien plus futiles, je me suis pris à jouer depuis longtemps maintenant, tellement que j’en viens à me demander si ce n’est vraiment que la troisième fois que je suis confiné. A vrai dire, ça fait bien longtemps que je me suis « auto-confiné », probablement ne suis-je pas le seul dans ce cas vous me direz, mais quelle importance ? Seul enfermé chez soi, ou tous enfermés chez soi, le problème reste le même. Cette privation d’une liberté qui est pourtant là, juste derrière la porte, à travers les vitres de la fenêtre, il s’agit bien d’un confinement. La porte des possibles, la fenêtres de mes aspirations profondes, je les ai fermées moi-même, dans cette incompréhensible et injustifiable quête de compromis où tout le monde est perdant et moi le premier.

Une amie m’avait pourtant bien conseillé : « il ne faut jamais écrire pour plaire aux autres ». Mais là aussi, le confinement de mon esprit, lui bien réel, est venu empêcher des possibilités : nier, tuer dans l’œuf une créativité qui logiquement aurait dû se trouver débridée par les pseudo-confinements dans lesquels nous nous sommes trouvés déjà à deux reprises pendant ces six derniers mois. Presque six mois sans rien écrire, six mois à fuir la peur de ne pas être intéressant, six mois à nier l’évidence de ce besoin d’écrire en essayant de l’étouffer par toutes sortes de contraintes et d’occupations. Etouffer, le mot est faible, parce que c’est effectivement comme s’arrêter de respirer, pendant six mois, comme une longue apnée, beaucoup trop longue.

Pourtant j’ai besoin de ça. J’ai besoin d’écrire. A quoi bon me mentir, j’ai été pris la main dans le sac, ou plutôt le stylo bille à la main. Cette main qui a goûté au sang noir de ce petit objet si banal mais si riche des possibilités qu’il renferme en son sein. Maintenant rien n’y fait, elle ne sera plus jamais ce pentapode domestiqué à pianoter sur un clavier, tapoter sur un écran glacé, ou même à attraper et relâcher machinalement toutes sortes de choses insignifiantes, aux ordres d’un maître lui-même asservi à un monde dans lequel il suffoque.

C’est donc ça, désormais, je respire par cette main, au rythme des lettres qui se dessinent sur mon carnet. Majuscule, je prends une grande bouffée d’air : inspiration. Point final…, j’en reprend encore une autre : inspiration.

Le chantier

Mon pasteur a l’habitude de dire qu’il est comme une maison inachevée. Hors contexte, ça peut sonner un peu bizarre mais ça mérite qu’on ne s’arrête pas aux apparences. Pour mieux comprendre, il faut bien visualiser l’image qu’il utilise et préciser un peu les choses. C’est sûrement un phénomène assez rare dans certains pays occidentaux mais dans mon pays d’origine, la Côte d’Ivoire, il arrive souvent que des chantiers puissent rester interrompus pendant des années durant et même en pleine ville. C’est déjà très particulier en soi mais ce qu’il y a d’encore plus surprenant c’est que dans la plupart des cas les travaux reprennent au bout d’un temps relativement long et comme si de rien était, une fois les fonds nécessaires réunis, le projet initial repensé, ou même une fois la propriété du terrain « rendue » à son véritable propriétaire.

Une fois ces quelques prérequis établis, je pense qu’il est déjà un peu plus facile d’appréhender cette idée de maison inachevée. En effet, le concept mis en avant par mon père spirituel avec cette image, et auquel j’adhère moi-même, c’est le fait que quelles que soient les apparences, qu’importe le temps que ça prend, ce à quoi nous sommes appelés, le plan de Dieu pour chacun d’entre nous se réalisera. Automatiquement, tout un tas de questions, voire de critiques, s’élèvent ensemble comme les boucliers d’une légion romaine face à l’invasion barbare que représente ce concept pour certains.

« Le destin ? Mais qu’est-ce que le destin et s’il existe qu’en est-il de notre libre arbitre ? », ou, « S’il y a un dieu, et qu’il laisse faire tant de malheurs sur Terre, pourquoi espérer en son plan sans même savoir s’il est bon ou mauvais pour moi ? », et même, « Voilà en quoi réside tous les maux de notre société ! La préférence pour la passivité et l’aliénation de notre vie bien réelle à un dieu imaginaire, au lieu de la persévérance et la pensée rationnelle pour faire bouger les choses». Peut-être qu’aucune de ces phrases ne vous a traversées l’esprit, mais croyez-moi c’est le cas pour beaucoup d’autres : je les ai entendus assez souvent pour vous le confirmer.

La première chose que je peux dire face à de telles remises en question, c’est qu’à partir du moment où on met de côté l’idée d’un Dieu tout puissant et qui nous aime par-dessus tout, il est impossible de comprendre de quoi je parle. C’est comme deux personnes engageant une discussion dans des langues différentes, sans que l’un ne sache parler celle de l’autre. Dans le cas présent, ce langage c’est le langage de l’amour, celui qui est parlé tout au long de la Bible, dans ses passages les plus sombres comme les plus lumineux, dans ses chapitres les plus rébarbatifs comme les plus palpitants. On pourra toujours me dire, que c’est facile et habituel pour les chrétiens de balayer la question de l’existence de notre Dieu par ce genre de condition. Pour ma part je considère juste que c’est une autre problématique à laquelle je ne suis pas le plus qualifié pour répondre et pour laquelle je considère avoir la chance que la foi me permette d’y répondre, peut-être pas rationnellement mais d’y répondre quand même. Certains aujourd’hui ont choisi de le faire rationnellement, ou au moins d’essayer, comme beaucoup d’autres l’ont fait auparavant. Blaise Pascal avec son Pari proposait au XVIIème siècle une réflexion intéressante, basée sur une approche probabiliste, voire de l’ordre du jeu de hasard, qui permet à n’importe qui de se faire une idée de ce qu’il perd et de ce qu’il gagne à croire ou ne pas croire. En effet assez simplement, et peut être même un peu trop, Pascal s’est efforcé de montrer qu’on a tous intérêt à croire en Dieu, que Dieu existe ou non. Pour lui, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant sont ex aequo. Cependant, si Dieu existe, le croyant est vainqueur car il accède au paradis pour l’éternité, tandis que le non-croyant lui est perdant car il en est exclu, aussi pour l’éternité. Simple mais efficace, et aussi très discutable. Mais revenons au sujet principal, car mon idée était justement de ne pas m’engager sur ce sujet, uniquement de préciser que d’autres l’ont fait, si cela vous intéresse.

Effectivement, dans mon cas, j’ai préféré accepter de m’abandonner sans support rationnel ni fondement scientifique à ce Dieu qui d’après sa parole m’a toujours aimé et cela même avant que je vienne à l’existence, malgré ma formation et ma personnalité plutôt cartésiennes. On parle souvent de saut de la foi, j’apprécie plus de parler d’une histoire d’amour. Même si ça y ressemble sur certains aspects je ne pense pas à une romance mais plutôt à un amour filial, cela pour différentes raisons qu’on peut principalement trouvées dans la Bible. En fait, on peut y lire une définition aussi bien précise que déconcertante de la foi : « c’est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas ». Pendant longtemps, ces quelques mots m’ont perturbé, bloqué, perdu même, pourtant il s’agit de quelque chose d’assez simple en somme, et c’est encore dans le même livre, quelques pages avant, que Jésus donne l’un des indices les plus importants qui permet de percer le mystère de cette phrase. « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » disait-il à ses disciples avec fermeté. C’est quand on accepte enfin, de revenir à cet état infantile de confiance, de dépendance et même de vulnérabilité qu’on peut embrasser tout le sens de cette définition et par la même occasion commencer le merveilleux voyage que Dieu nous propose de faire avec lui. Celui au cours duquel il nous rend en fin de compte plus fort, moins dépendant des choses de ce monde, et toujours plus assuré de sa présence bienveillante.

Il ne s’agit plus de l’absolue importance de nos choix, nos désirs, notre volonté, mais de quelque chose de plus grand – et bien plus beau.

Toutefois, c’est un voyage qui n’en est pas vraiment un car qui dit voyage dit aussi origine et destination or ici l’origine et la destination sont les mêmes : Dieu. Il s’agit plutôt d’un projet en fait, le projet d’une vie, un chantier même. Un chantier où l’œuvre, la bâtisse, c’est chacun de nous. Le maitre d’ouvrage, le donneur d’ordre à l’origine et qui réceptionnera le projet fini, c’est Dieu. Le maître d’œuvre qui réalise ce projet, c’est encore Dieu. Loin d’être au centre de cette entreprise nous ne sommes que son support, ce qui peut paraître quelque peu réducteur et frustrant au premier abord. Il ne s’agit plus de l’absolue importance de nos choix, nos désirs, notre volonté, mais de quelque chose de plus grand – et bien plus beau. Oui, quand on comprend que c’est bien Dieu qui est au centre, à la fois pour sa plus grande gloire mais aussi pour notre plus grand bonheur, on entre dans toute la puissance et la beauté de cette simple idée proposée par mon pasteur, celle d’une maison en construction qui inéluctablement sera achevée pour devenir une demeure parfaite, unique et d’une valeur inestimable ; même si à l’instant présent elle est loin d’y ressembler, même si les obstacles et circonstances jouent parfois de concert contre sa réalisation. Encore une fois, la clé de ce projet, son point de départ, c’est cette histoire d’amour, entre un enfant, celui qui réside en chacun de nous, et un Père, qui attend depuis si longtemps qu’on le laisse nous construire, nous accompagner, nous aimer.

L’enfant

Adulte ? Qu’est ce qui définit l’état adulte ?

Ne sommes-nous pas que des enfants marqués au fil des années par les joies et les peines, les épreuves, les défaites et les victoires façonnés par le monde dans lequel nous vivons et apprenons à vivre ?

Je ne sais pas ce qu’il en est de vous, en tous cas moi je suis un enfant. Plus précisément, je sais qu’au fond de l’homme que je suis, il y a et il y aura toujours un enfant dont les rêves, les peurs et les espoirs n’ont pas changé.

Seulement, être un homme, à mon sens, c’est de choisir parmi ces rêves, parmi ces peurs et ces espoirs, lesquels vont orienter ma vie, et de me battre avec toutes les armes en ma possession pour, respectivement, les vaincre et les réaliser.

L’enfant en moi, c’est l’homme que je suis.

L’avion

A des milliers de mètres du sol, lancé à près de mille kilomètres/heure, on pourrait croire que je suis dans une fusée en partance pour Mars. Pourtant je suis seulement à deux milles kilomètres de chez moi.

Ici, dans cet avion, le temps d’un vol, j’ai la sensation d’être placé dans un environnement neutre d’où je peux prendre tout le recul nécessaire pour faire le point sur ma vie.

C’est assez étrange comme processus, on pourrait parler d’une extro-spection pendant laquelle, à la différence d’une introspection, il ne s’agit pas de se questionner sur soi-même et ce qui se passe à l’intérieur mais sur l’extérieur en fait, et sur tout ce qui se passe dans cette immensité, avec nous au milieu, suspendu dans les airs juste pour quelques heures.

Voir qu’on est bien peu de choses vu du ciel et, de manière plus abstraite, ressentir la vanité de notre monde et de soi-même, à l’occasion d’une interruption forcée et loin d’être triviale dans notre rythme de vie effréné.

Comme si, bien plus qu’un avion, on était finalement dans une capsule spatio-temporelle permettant non pas de voyager dans le temps ou même l’espace, mais plutôt d’en sortir, de ce temps et de cet espace, pour un instant de réflexion ou simplement de contemplation.

La vérité et la réalité

La différence entre la vérité et la réalité.
En étudiant la Bible et en priant, je découvre peu à peu qu’il y a une grande différence entre la réalité, que je vis et qui est indéniable parce que je la vis, et la vérité qui, elle, est absolue, que je la vive ou pas. Avec mes mots maladroits ça peut paraître assez complexe, mais pour essayer de simplifier un peu, je vais faire référence à un bon gros film américain : Matrix !

J’ai toujours le choix entre une pilule bleue et une pilule rouge. La pilule bleue, la réalité, que je peux avaler pour accepter docilement des choses plus ou moins révoltantes, mais qui sont des faits, des choses concrètes qui se produisent en moi et autour de moi. Et il y a la pilule rouge, la vérité, que je peux avaler pour accéder à une infinité de possibilités, remettant chacune en question ces choses révoltantes et allant jusqu’à me permettre progressivement de les changer plus j’embrasse cette vérité.

N.B. : Si des liens ci-dessus seraient soumis à une quelconque interdiction de publication via un blog, ceux-ci seront retirés immédiatement sur simple demande.

L’effacement

Être indifférent à la souffrance de l’autre, au fond, est-ce que c’est vraiment possible ? Pour moi l’humain est trop humain pour ça. Je veux dire, qu’on aurait beau avoir subi un lavage de cerveau mode cycle long 90°C avec Javel, cela ne pourrait pas effacer en nous le minimum de conscience qui fait qu’on sait quand l’autre souffre. Premièrement, car c’est la conscience de l’autre qui alimente la conscience de soi — sans toi pas de moi. Aussi, parce qu’on comprend automatiquement la souffrance de l’autre, dans le meilleur des cas pour nous, par opposition à notre bien-être et, dans le pire des cas, par association à celle que l’on vit nous-même. Bon, avant de me faire lyncher par des vrais philosophes, je vais m’arrêter là et revenir à mon idée de départ.

Je ne crois pas à l’indifférence face à la souffrance. Alors que l’effacement de la souffrance…

Accrochez-vous, je m’explique !

Changer de trottoir pour éviter de croiser un SDF qui mendie, zapper l’actualité pénible de la famine au Yémen pour se divertir avec un télécrochet musical, faire un don mensuel pour soutenir une œuvre caritative en Afrique, partager sur les réseaux sociaux pour diffuser le drame d’un enfant migrant noyé… A première vue ce sont des actions qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, et pourtant elles ont un point commun essentiel : en fait il n’y a qu’une seule personne au centre de l’attention dans chacune d’entre elles, moi.

Que ce soit avec notre corps tout entier, avec nos sens, notre intellect ou juste nos émotions, nous avons la tendance et la surprenante capacité à effacer la souffrance de l’autre. Quand je me détourne de celui qui tend la main, quand je cache à mes yeux les images et les voix de pays entiers en détresse, quand je me dédouane mathématiquement de l’injustice faite aux plus pauvres avec un peu plus d’argent, quand je crie mon indignation sur la toile en réaction aux histoires les plus tragiques, la seule personne qui motive ces actions, c’est moi, pas l’autre.

Mon but n’est ni de choquer ni même de critiquer ici. Il ne s’agit pas de juger du bien ou du mal de ces attitudes distinctes, mais simplement d’essayer de réaliser un constat objectif et original.

A quel moment est-ce que je m’attarde sur la souffrance de l’autre ? A quel moment est-ce qu’au lieu de mon inconfort, mon humeur, mon raisonnement, ou mes émotions, c’est tout simplement l’autre et ce qu’il ressent lui qui est au centre de mon attention, et par suite, de ma motivation ? Trop souvent, que ce soit dans l’action ou l’inaction, je mets en sourdine cette souffrance qui pourtant a premièrement besoin d’être entendue, d’être comprise, pour pouvoir être soulagée.

On ne peut probablement pas tous partir pour un pays lointain au secours de milliers de personnes qui ne possède même pas le minimum vital, ni passer des nuits dans les rues froides de sa ville à apporter chaleur matérielle et humaine à ceux qui en manque le plus cruellement. Que cela soit la solution à la souffrance de l’autre ou pas, on ne peut malheureusement pas tous se lancer dans des sacrifices personnels de ce genre. Par contre, ce qu’on peut tous faire, et qui semble être une condition nécessaire quelle que soit l’action que l’on choisit, c’est se donner vraiment à l’autre qui souffre, de s’oublier même un instant pour le mettre au centre de notre vie, afin d’entendre, de comprendre et, si possible, de partager sa souffrance.

C’est peut-être ça, aimer son prochain comme soi-même, c’est peut-être ça l’Amour.

Là, une fois qu’on a fait ce premier pas, petit, certes, mais tout de même un pas vers l’autre, on peut même avec l’action la plus infime réussir à soulager les souffrances les plus dévastatrices.

On peut, je crois, même par un regard, s’il est rempli de cet Amour, communiquer à l’autre un apaisement qui se passe de tout mot.

Les 3 princes

Il était une fois, dans un royaume en paix mais à l’avenir plus qu’incertain, un roi sentant son heure arriver et s’inquiétant de la succession au trône.
En effet, ayant trois fils, triplets identiques en apparence mais de personnalités radicalement différentes, il était contraint de choisir lequel des princes serait apte à défendre le royaume face aux adversités qui se profilaient à l’horizon. Un choix aussi important se devait d’être objectif, mais la tentation de choisir selon ses préférences de père le tiraillait. Chacun d’entre eux avait bien sûr ses qualités et ses défauts, mais, comme tout parent, le roi avait au fond de son cœur un ordre de préférence.

Le premier, le prince qui aimait le concret, tout comme son père. Il était doué de ses mains pour construire toute sorte de choses. D’un morceau de bois il était capable de façonner une arme, un outil ou même un jouet pour enfant. Il était avant tout terre à terre, parfois froid, pour lui la force de l’homme résidait dans ses mains et, si bien employée, avec elle il pouvait tout surmonter.
Le deuxième, le prince amoureux de la nature, comme sa défunte mère. C’était un bon vivant, sachant élaborer à partir des fruits de la terre, les mets les plus délicieux. C’était un optimiste de toute heure, un peu naïf, qui croyait en la force de la nature et en sa bienveillance, en sachant la respecter et l’apprivoiser, elle pouvait donner tout ce dont l’homme avait besoin pour vivre.
Le troisième, le prince passionné des mots et dont le roi ne savait que faire. Il ne tenait ni de sa mère, ni de son père, son amour des beaux poèmes qu’il passait ses journées à écrire, et qu’il allait ensuite lire dans les rues de la cité. C’était un rêveur, un brin paresseux, il se contentait de prendre la vie comme elle venait, tant qu’il pouvait partager sa poésie avec les autres.

Comment trancher ? Savait-il lui, ce dont son royaume allait avoir besoin à l’avenir et lequel de ses fils serait le plus apte à le lui apporter ?
Il trouva finalement la solution : une épreuve demandant de démontrer à la fois sagesse, persévérance et dévouement pour le royaume. Dans les combles du château, se trouvait trois vastes pièces abandonnées et de tailles identiques. A chaque prince il attribua une pièce et donna une semaine pour la remplir complètement de quelque chose qui serait essentiel au royaume en période de crise.
Le premier prince commença à remplir sa pièce de bûche de bois. Avec l’aide de ses nombreux confrères : bûcherons, ébénistes, menuisiers, forgerons, il s’attela à la coupe massive de bois en forêt et son acheminement jusqu’au château.
Le deuxième prince, lui, commença à remplir sa pièce de sacs de blés. Soutenu par ses amis cultivateurs, meuniers et commerçants, il se lança dans une grande campagne de récupération du blé disponible en échange des produits variés récoltés sur les terres royales.
Le troisième prince, enfin, comme à son habitude, continua d’aller se promener au bord de l’eau, de dire ses poèmes aux passants, et de rêvasser des heures durant. Mais sa pièce à lui restait vide.

La fin de la semaine approchait, et au fil des heures le vide des pièces lugubres du château faisait place à un amoncellement impressionnant de bois ou de blé. Le roi voyait avec fierté et émoi ses fils se démener pour venir à bout de cette épreuve titanesque et obtenir leur droit d’accéder au trône. Mais cela ne valait pas pour le troisième prince et sa pièce toujours aussi vide qu’au commencement de l’épreuve. Pour le roi c’était sûr, il ne pouvait pas compter sur ce fils pour lui succéder. Toute la semaine il avait pu le voir passant des après-midis oisives dans les jardins du château à observer en détails la faune et la flore, se mêlant aux jeux des enfants de rue jusqu’au soir, ou encore écoutant les nombreux et interminables souvenirs de la vieille domestique du château. Pas un cheveu n’était entré dans sa pièce.

Enfin le « jour J » arriva. Jusqu’à la dernière heure de la nuit, hommes et femmes se sont évertués à aider les princes dans leur lourde tâche. Mais l’heure du verdict était arrivée et le roi allait devoir prendre sa décision finale.
Il ouvrit la pièce du premier prince et se trouva nez à nez avec un mur de bûches de bois. Le prince s’expliqua, pour lui, la force de l’homme était dans ses mains certes mais encore fallait-il qu’il soit en bonne santé, les hivers étant de plus en plus rudes dans le royaume, il faudrait du bois pour se chauffer et en grande quantité. Le roi était conquis, mais se devant d’être objectif et pointilleux, il pressa l’une des bûches, or celle-ci s’enfonça profondément en disloquant complètement la première pile. Avec déception le roi annonça son échec à son favori : il avait choisi un élément utile, certes, mais n’avait pas pu en remplir la pièce comme demandé.
Le roi passa alors à la deuxième pièce, un sac de blé lui tomba aux pieds dès que la porte s’ouvrit. Le second prince justifia son choix : en se rappelant que les dernières récoltes avaient été maigres et ses festins bien moins réussis, il trouva sa solution, un royaume qui avait le ventre plein c’était un royaume qui allait bien. Le roi était fier du choix et du travail accompli par son fils mais encore une fois il voulut avoir le cœur net avant de se prononcer. Il n’était plus très en forme mais trouva assez d’énergie pour retirer quelques sacs et se frayer un chemin jusqu’au plafond de la pièce. Une fois redescendu il annonça à la surprise de son deuxième fils qu’il avait aussi échoué : en effet sa pièce contenait bien un élément essentiel mais elle n’était pas complètement pleine, faute à un espace laissé vide entre les sacs et le plafond sur l’ensemble de la pièce.

Au vu de la situation et de son observation attentive du dernier prince, le roi s’apprêtait déjà à devoir départager les deux autres dans un duel à l’épée ou une course à cheval. Il rentra quand même dans la dernière pièce, sans surprise, vide et sombre, tout comme l’était son regard. Mais sans dire un mot, le troisième prince rentra dans la pièce sans fenêtre où l’on ne pouvait même pas voir ce qu’il y trafiquait. Quand soudain une faible lueur naquit et grandit jusqu’à illuminer l’ensemble de la pièce. Le prince, dont le sourire enfantin était maintenant visible, s’approcha de son père pour le sortir de la confusion que son visage trahissait. Il éclaircit sa décision. Selon lui, quelques soit les difficultés auxquelles le royaume devrait faire face, il aurait besoin de lumière. La lumière qui fait briller les yeux des enfants, la lumière qui réchauffe le cœur de tous surtout quand ils se sentent vides et inutiles, la lumière qui est partout autour de nous et en nous, la lumière qui, avant tout, doit être partager. En tant que roi il se donnerait comme priorité absolue de maintenir constamment cette lumière dans le royaume, à partir d’elle tout le reste suivrait. Le roi épaté et ému par les mots de son fils, ne put qu’admettre que la pièce auparavant baignée dans une épaisse obscurité était maintenant remplie de la lumière que projetait une simple lampe à huile. Il avait finalement un vainqueur et il avait trouvé son successeur.

Et c’est ainsi que le prince poète devint roi, à la surprise de tous mais pour le bonheur de chacun — et pour de nombreuses années. Avec l’aide de ses frères, il assura paix et prospérité à son royaume, qu’on appelle désormais la Terre de Lumière.


Cet article m’a été inspiré par une histoire entendue dans l’émission radio « 365 Histoires » de Jean-Louis Gaillard. N’ayant pas retrouvé l’originale je me suis permis de la raconter avec mes mots. Si vous souhaitez retrouver d’autres histoires de ce genre, vous pouvez accéder gratuitement aux versions audio sur ce site https://www.365histoires.com/audio/ et vidéo sur cette chaîne YouTube https://www.youtube.com/c/365histoires.