Mon pasteur a l’habitude de dire qu’il est comme une maison inachevée. Hors contexte, ça peut sonner un peu bizarre mais ça mérite qu’on ne s’arrête pas aux apparences. Pour mieux comprendre, il faut bien visualiser l’image qu’il utilise et préciser un peu les choses. C’est sûrement un phénomène assez rare dans certains pays occidentaux mais dans mon pays d’origine, la Côte d’Ivoire, il arrive souvent que des chantiers puissent rester interrompus pendant des années durant et même en pleine ville. C’est déjà très particulier en soi mais ce qu’il y a d’encore plus surprenant c’est que dans la plupart des cas les travaux reprennent au bout d’un temps relativement long et comme si de rien était, une fois les fonds nécessaires réunis, le projet initial repensé, ou même une fois la propriété du terrain « rendue » à son véritable propriétaire.
Une fois ces quelques prérequis établis, je pense qu’il est déjà un peu plus facile d’appréhender cette idée de maison inachevée. En effet, le concept mis en avant par mon père spirituel avec cette image, et auquel j’adhère moi-même, c’est le fait que quelles que soient les apparences, qu’importe le temps que ça prend, ce à quoi nous sommes appelés, le plan de Dieu pour chacun d’entre nous se réalisera. Automatiquement, tout un tas de questions, voire de critiques, s’élèvent ensemble comme les boucliers d’une légion romaine face à l’invasion barbare que représente ce concept pour certains.
« Le destin ? Mais qu’est-ce que le destin et s’il existe qu’en est-il de notre libre arbitre ? », ou, « S’il y a un dieu, et qu’il laisse faire tant de malheurs sur Terre, pourquoi espérer en son plan sans même savoir s’il est bon ou mauvais pour moi ? », et même, « Voilà en quoi réside tous les maux de notre société ! La préférence pour la passivité et l’aliénation de notre vie bien réelle à un dieu imaginaire, au lieu de la persévérance et la pensée rationnelle pour faire bouger les choses». Peut-être qu’aucune de ces phrases ne vous a traversées l’esprit, mais croyez-moi c’est le cas pour beaucoup d’autres : je les ai entendus assez souvent pour vous le confirmer.
La première chose que je peux dire face à de telles remises en question, c’est qu’à partir du moment où on met de côté l’idée d’un Dieu tout puissant et qui nous aime par-dessus tout, il est impossible de comprendre de quoi je parle. C’est comme deux personnes engageant une discussion dans des langues différentes, sans que l’un ne sache parler celle de l’autre. Dans le cas présent, ce langage c’est le langage de l’amour, celui qui est parlé tout au long de la Bible, dans ses passages les plus sombres comme les plus lumineux, dans ses chapitres les plus rébarbatifs comme les plus palpitants. On pourra toujours me dire, que c’est facile et habituel pour les chrétiens de balayer la question de l’existence de notre Dieu par ce genre de condition. Pour ma part je considère juste que c’est une autre problématique à laquelle je ne suis pas le plus qualifié pour répondre et pour laquelle je considère avoir la chance que la foi me permette d’y répondre, peut-être pas rationnellement mais d’y répondre quand même. Certains aujourd’hui ont choisi de le faire rationnellement, ou au moins d’essayer, comme beaucoup d’autres l’ont fait auparavant. Blaise Pascal avec son Pari proposait au XVIIème siècle une réflexion intéressante, basée sur une approche probabiliste, voire de l’ordre du jeu de hasard, qui permet à n’importe qui de se faire une idée de ce qu’il perd et de ce qu’il gagne à croire ou ne pas croire. En effet assez simplement, et peut être même un peu trop, Pascal s’est efforcé de montrer qu’on a tous intérêt à croire en Dieu, que Dieu existe ou non. Pour lui, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant sont ex aequo. Cependant, si Dieu existe, le croyant est vainqueur car il accède au paradis pour l’éternité, tandis que le non-croyant lui est perdant car il en est exclu, aussi pour l’éternité. Simple mais efficace, et aussi très discutable. Mais revenons au sujet principal, car mon idée était justement de ne pas m’engager sur ce sujet, uniquement de préciser que d’autres l’ont fait, si cela vous intéresse.
Effectivement, dans mon cas, j’ai préféré accepter de m’abandonner sans support rationnel ni fondement scientifique à ce Dieu qui d’après sa parole m’a toujours aimé et cela même avant que je vienne à l’existence, malgré ma formation et ma personnalité plutôt cartésiennes. On parle souvent de saut de la foi, j’apprécie plus de parler d’une histoire d’amour. Même si ça y ressemble sur certains aspects je ne pense pas à une romance mais plutôt à un amour filial, cela pour différentes raisons qu’on peut principalement trouvées dans la Bible. En fait, on peut y lire une définition aussi bien précise que déconcertante de la foi : « c’est une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas ». Pendant longtemps, ces quelques mots m’ont perturbé, bloqué, perdu même, pourtant il s’agit de quelque chose d’assez simple en somme, et c’est encore dans le même livre, quelques pages avant, que Jésus donne l’un des indices les plus importants qui permet de percer le mystère de cette phrase. « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » disait-il à ses disciples avec fermeté. C’est quand on accepte enfin, de revenir à cet état infantile de confiance, de dépendance et même de vulnérabilité qu’on peut embrasser tout le sens de cette définition et par la même occasion commencer le merveilleux voyage que Dieu nous propose de faire avec lui. Celui au cours duquel il nous rend en fin de compte plus fort, moins dépendant des choses de ce monde, et toujours plus assuré de sa présence bienveillante.
Il ne s’agit plus de l’absolue importance de nos choix, nos désirs, notre volonté, mais de quelque chose de plus grand – et bien plus beau.
Toutefois, c’est un voyage qui n’en est pas vraiment un car qui dit voyage dit aussi origine et destination or ici l’origine et la destination sont les mêmes : Dieu. Il s’agit plutôt d’un projet en fait, le projet d’une vie, un chantier même. Un chantier où l’œuvre, la bâtisse, c’est chacun de nous. Le maitre d’ouvrage, le donneur d’ordre à l’origine et qui réceptionnera le projet fini, c’est Dieu. Le maître d’œuvre qui réalise ce projet, c’est encore Dieu. Loin d’être au centre de cette entreprise nous ne sommes que son support, ce qui peut paraître quelque peu réducteur et frustrant au premier abord. Il ne s’agit plus de l’absolue importance de nos choix, nos désirs, notre volonté, mais de quelque chose de plus grand – et bien plus beau. Oui, quand on comprend que c’est bien Dieu qui est au centre, à la fois pour sa plus grande gloire mais aussi pour notre plus grand bonheur, on entre dans toute la puissance et la beauté de cette simple idée proposée par mon pasteur, celle d’une maison en construction qui inéluctablement sera achevée pour devenir une demeure parfaite, unique et d’une valeur inestimable ; même si à l’instant présent elle est loin d’y ressembler, même si les obstacles et circonstances jouent parfois de concert contre sa réalisation. Encore une fois, la clé de ce projet, son point de départ, c’est cette histoire d’amour, entre un enfant, celui qui réside en chacun de nous, et un Père, qui attend depuis si longtemps qu’on le laisse nous construire, nous accompagner, nous aimer.