
Les 3 princes
Il était une fois, dans un royaume en paix mais à l’avenir plus qu’incertain, un roi sentant son heure arriver et s’inquiétant de la succession au trône.
En effet, ayant trois fils, triplets identiques en apparence mais de personnalités radicalement différentes, il était contraint de choisir lequel des princes serait apte à défendre le royaume face aux adversités qui se profilaient à l’horizon. Un choix aussi important se devait d’être objectif, mais la tentation de choisir selon ses préférences de père le tiraillait. Chacun d’entre eux avait bien sûr ses qualités et ses défauts, mais, comme tout parent, le roi avait au fond de son cœur un ordre de préférence.
Le premier, le prince qui aimait le concret, tout comme son père. Il était doué de ses mains pour construire toute sorte de choses. D’un morceau de bois il était capable de façonner une arme, un outil ou même un jouet pour enfant. Il était avant tout terre à terre, parfois froid, pour lui la force de l’homme résidait dans ses mains et, si bien employée, avec elle il pouvait tout surmonter.
Le deuxième, le prince amoureux de la nature, comme sa défunte mère. C’était un bon vivant, sachant élaborer à partir des fruits de la terre, les mets les plus délicieux. C’était un optimiste de toute heure, un peu naïf, qui croyait en la force de la nature et en sa bienveillance, en sachant la respecter et l’apprivoiser, elle pouvait donner tout ce dont l’homme avait besoin pour vivre.
Le troisième, le prince passionné des mots et dont le roi ne savait que faire. Il ne tenait ni de sa mère, ni de son père, son amour des beaux poèmes qu’il passait ses journées à écrire, et qu’il allait ensuite lire dans les rues de la cité. C’était un rêveur, un brin paresseux, il se contentait de prendre la vie comme elle venait, tant qu’il pouvait partager sa poésie avec les autres.
Comment trancher ? Savait-il lui, ce dont son royaume allait avoir besoin à l’avenir et lequel de ses fils serait le plus apte à le lui apporter ?
Il trouva finalement la solution : une épreuve demandant de démontrer à la fois sagesse, persévérance et dévouement pour le royaume. Dans les combles du château, se trouvait trois vastes pièces abandonnées et de tailles identiques. A chaque prince il attribua une pièce et donna une semaine pour la remplir complètement de quelque chose qui serait essentiel au royaume en période de crise.
Le premier prince commença à remplir sa pièce de bûche de bois. Avec l’aide de ses nombreux confrères : bûcherons, ébénistes, menuisiers, forgerons, il s’attela à la coupe massive de bois en forêt et son acheminement jusqu’au château.
Le deuxième prince, lui, commença à remplir sa pièce de sacs de blés. Soutenu par ses amis cultivateurs, meuniers et commerçants, il se lança dans une grande campagne de récupération du blé disponible en échange des produits variés récoltés sur les terres royales.
Le troisième prince, enfin, comme à son habitude, continua d’aller se promener au bord de l’eau, de dire ses poèmes aux passants, et de rêvasser des heures durant. Mais sa pièce à lui restait vide.
La fin de la semaine approchait, et au fil des heures le vide des pièces lugubres du château faisait place à un amoncellement impressionnant de bois ou de blé. Le roi voyait avec fierté et émoi ses fils se démener pour venir à bout de cette épreuve titanesque et obtenir leur droit d’accéder au trône. Mais cela ne valait pas pour le troisième prince et sa pièce toujours aussi vide qu’au commencement de l’épreuve. Pour le roi c’était sûr, il ne pouvait pas compter sur ce fils pour lui succéder. Toute la semaine il avait pu le voir passant des après-midis oisives dans les jardins du château à observer en détails la faune et la flore, se mêlant aux jeux des enfants de rue jusqu’au soir, ou encore écoutant les nombreux et interminables souvenirs de la vieille domestique du château. Pas un cheveu n’était entré dans sa pièce.
Enfin le « jour J » arriva. Jusqu’à la dernière heure de la nuit, hommes et femmes se sont évertués à aider les princes dans leur lourde tâche. Mais l’heure du verdict était arrivée et le roi allait devoir prendre sa décision finale.
Il ouvrit la pièce du premier prince et se trouva nez à nez avec un mur de bûches de bois. Le prince s’expliqua, pour lui, la force de l’homme était dans ses mains certes mais encore fallait-il qu’il soit en bonne santé, les hivers étant de plus en plus rudes dans le royaume, il faudrait du bois pour se chauffer et en grande quantité. Le roi était conquis, mais se devant d’être objectif et pointilleux, il pressa l’une des bûches, or celle-ci s’enfonça profondément en disloquant complètement la première pile. Avec déception le roi annonça son échec à son favori : il avait choisi un élément utile, certes, mais n’avait pas pu en remplir la pièce comme demandé.
Le roi passa alors à la deuxième pièce, un sac de blé lui tomba aux pieds dès que la porte s’ouvrit. Le second prince justifia son choix : en se rappelant que les dernières récoltes avaient été maigres et ses festins bien moins réussis, il trouva sa solution, un royaume qui avait le ventre plein c’était un royaume qui allait bien. Le roi était fier du choix et du travail accompli par son fils mais encore une fois il voulut avoir le cœur net avant de se prononcer. Il n’était plus très en forme mais trouva assez d’énergie pour retirer quelques sacs et se frayer un chemin jusqu’au plafond de la pièce. Une fois redescendu il annonça à la surprise de son deuxième fils qu’il avait aussi échoué : en effet sa pièce contenait bien un élément essentiel mais elle n’était pas complètement pleine, faute à un espace laissé vide entre les sacs et le plafond sur l’ensemble de la pièce.
Au vu de la situation et de son observation attentive du dernier prince, le roi s’apprêtait déjà à devoir départager les deux autres dans un duel à l’épée ou une course à cheval. Il rentra quand même dans la dernière pièce, sans surprise, vide et sombre, tout comme l’était son regard. Mais sans dire un mot, le troisième prince rentra dans la pièce sans fenêtre où l’on ne pouvait même pas voir ce qu’il y trafiquait. Quand soudain une faible lueur naquit et grandit jusqu’à illuminer l’ensemble de la pièce. Le prince, dont le sourire enfantin était maintenant visible, s’approcha de son père pour le sortir de la confusion que son visage trahissait. Il éclaircit sa décision. Selon lui, quelques soit les difficultés auxquelles le royaume devrait faire face, il aurait besoin de lumière. La lumière qui fait briller les yeux des enfants, la lumière qui réchauffe le cœur de tous surtout quand ils se sentent vides et inutiles, la lumière qui est partout autour de nous et en nous, la lumière qui, avant tout, doit être partager. En tant que roi il se donnerait comme priorité absolue de maintenir constamment cette lumière dans le royaume, à partir d’elle tout le reste suivrait. Le roi épaté et ému par les mots de son fils, ne put qu’admettre que la pièce auparavant baignée dans une épaisse obscurité était maintenant remplie de la lumière que projetait une simple lampe à huile. Il avait finalement un vainqueur et il avait trouvé son successeur.
Et c’est ainsi que le prince poète devint roi, à la surprise de tous mais pour le bonheur de chacun — et pour de nombreuses années. Avec l’aide de ses frères, il assura paix et prospérité à son royaume, qu’on appelle désormais la Terre de Lumière.
Cet article m’a été inspiré par une histoire entendue dans l’émission radio « 365 Histoires » de Jean-Louis Gaillard. N’ayant pas retrouvé l’originale je me suis permis de la raconter avec mes mots. Si vous souhaitez retrouver d’autres histoires de ce genre, vous pouvez accéder gratuitement aux versions audio sur ce site https://www.365histoires.com/audio/ et vidéo sur cette chaîne YouTube https://www.youtube.com/c/365histoires.